• faut pas raler

    Mon pote Racalerde, vous ne le fréquentez pas ? Jamais vous ne le vites ?

    Ah, qu'est ce que vous loupez.

    J'étais voici peu en cet établissement que chaque bon Toulousain se doit de visiter hebdromadairement au bas mot. On y trouve tous les bouquins les plus raffinés du moment.

    Je papillonnais. Je m'arrêtais parfois feuilletant avec délicatesse quelque ouvrage, ne troublant en rien le silence religieux du lieu. Vint à mes esgourdes une drôle de musique. On eut pu songer à un sanglier, furetant dans les mousses odorantes d'une forêt de chênes.

    « Grouik, grouik. »

    Je m'approchais et le vis : grassouillet, la goutte au blair, les pommettes rougeoyantes... une barbe négligée. Ses doigts luisants comme des saucisses allaient de page en page, laissant sur chacune quelque trace grasse et suspecte. Il grognait :

    « Ah les cons, ces bourgeois mériteraient qu'on leur déplissa la marge anale avec le papier de ces torches culs. Oser parler de littérature. Littérature de mon cul... »

    Il me vit alors :

    « Ah Gneugneu, vieux défraîchi. Que fais tu en ce lieu déplaisant ? Aurais tu appris à lire ou as tu confondu cet établissement avec les tinettes ? La gastro-entérite ? La furieuse galopante ? Ah mon ami, tu trouveras tout le papier que ton fondement délicat exige... »

    Bien sûr, il ne chuchotait pas : il hurlait, s'époumonait gaiement, postillonnant avec grande satisfaction. Certains clients fixaient du regard un ouvrage quelconque ou simplement le bout de leurs chaussures, feignant ne pas le voir. D'autres haussaient les épaules avec morgue. Les vendeurs surveillaient le personnage, prêts à intervenir.

    « Mon ami, fit il en me saisissant par l'avant bras, 90% de cette production ne vaut pas mieux qu'étrons fumants. Le monde est devenu correct. On n'y peut même plus crever libre sur les chaussées. Solidarité, homoparentalité, militant, écologiste, correct et harcèlement, et injustice sociale, et putain de bordel de religion civile, catéchisme pitoyable. Au moins les croyances d'antan possédaient elles une petite part de rêve et de magie. Ah comme ce siècle m'étouffe, comme ces contraintes me navrent. Regarde moi ces pelés : plus des trois quart d'entre eux attendent une aide du gouvernement... Depuis quand un gouvernement aide t il quelqu'un ? »

    Il prit à parti une pauvre femme apeurée :

    « Que croyez vous, que les radars vont faire ressusciter mon pauvre frère mort sur sa motocyclette ? Que les indemnités de chômage vont vous permettre d'avoir le prix Nobel ? Que l'état vous rendra moins con ? Ah, pauvres dégénérés décadents.. La vie sans risque, tiens, me fit il, ça me donne... »

    Je reculais, prêt à l'esquive, connaissant trop bien l'animal. Il se frottait la panse et je devinais déjà la suite. Il éructa d'une force démentielle, déclenchant des « oh » navrés dans l'assistance.

    « Ah, l'ail mon ami, l'ail : voilà un véritable extrait concentré d'existence bien humaine. Rien ne me fait éructer comme l'ail, sauf autrefois peut être, cette cocaïne à laquelle j'ai renoncé. »

    Eructations rafraîchissantes disait Freud...

    Un nuage bien pesant pour l'odorat m'avait forcé à reculer. Déjà, les vendeurs se regroupaient. J'invitais mon pote à se mouvoir avant les hostilités.

    Il s'étala sur le trottoir à peine sorti de l'établissement. La neige avait rendu le sol glissant :

    « Ah les enculés, hurla t il. Ils peuvent pas déneiger, au lieu de s'acharner à proposer d'aussi merdiques ouvrages. On peut être pauvre et cultivé, sale engeance vermine choléra.»

    Je l'aidais à se lever. Un neige boueuse souillait son visage. A peine debout, il cracha vigoureusement. J'aperçus dans le magasin une caissière porter les mains à sa poitrine à la vue de ce gros mollard jaune qui glissait lentement sur sa vitrine.

    Je sentais naître de mauvais présages en ce jour d'hiver mais la destiné intervint en ma faveur.

    « Mon ami, cet épisode regrettable me fait pleurer mon doux logis. Je ne manquerai pas de frapper à ta porte quand le vent m'y mènera. »

    Il me prit dans ses bras, m'embrassa à m'étouffer. Il refoulait du bec comme un cul de vautour. Il n'oublierait certes jamais de venir me visiter et de vider en quelques heures la totalité des bouteilles de mon bar, que je lui céderais avec petite douleur au cul mais certes un grand plaisir.

    Je le regardais partir, déambulant maladroitement sur le trottoir glissant, et songeais que certains humains valent véritablement qu'on leur cède toute l'amitié possible.


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